Repentance

Je suis à peu près aussi éloigné du christianisme qu’un lombric peut l’être de la pétanque. La notion de repentance m’est donc totalement étrangère, elle ne fait partie ni de mon vocabulaire ni de mon moteur de vie.

Ce n’est pas le cas de Monsieur Fillon. Le bon chrétien autoproclamé pourrait se repentir d’avoir quelque peu profité des largesses de l’Etat et d’avoir sombré dans une forme certaine de cupidité bien éloignée du « détachement des biens matériels » par ailleurs professé. L’homme politique pourrait se repentir d’avoir quelque peu profité des largesses de l’Etat et de s’être fait pincer, ce qui l’a conduit à perdre une élection présidentielle qui lui semblait acquise, à perdre un fauteuil présidentiel qui lui tendait les accoudoirs. Au grand dam de son ego et de ses ambitions. Cette mésaventure lui aura au moins permis de ne pas sombrer dans le péché d’orgueil et d’avoir montré, bien malgré lui, une certaine humilité. Celle qui consiste à ne pas trop pouvoir se hausser par dessus ses concitoyens. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa. Il rejoint ainsi Monsieur Strauss-Kahn, tout autant que lui promis à cette même haute et noble fonction. Et qui sombra lui aussi dans le péché. Il le rejoint par la plus petite porte dans les oubliettes de l’Histoire.

Cette notion de repentance existe aussi au niveau des nations et s’emploie alors dans un contexte politique ou politico/diplomatique. Qui concerne donc tout autant Monsieur Fillon. Si j’en crois ouest-france.fr (28/10/2016), ledit François a déclaré sur France 2, je cite : Il a réaffirmé son « refus de la repentance, je ne changerai pas d’avis. L’histoire de France, c’est l’histoire de France, elle correspond à des époques, à des mœurs, elle s’inscrit dans une histoire de l’humanité », a-t-il dit, tout en reconnaissant que « bien sûr que l’esclavage est un crime, bien sûr que la colonisation aujourd’hui, avec les critères qui sont les nôtres, est un crime ».

Mais l’homme politique – et je ne parle point ici du seul ex-futur président – est un animal de scène à géométrie variable qui, par opportunisme, caresse le citoyen-électeur dans le sens du poil. Une girouette qui essaie de deviner d’où vient le vent favorable à ses ambitions, qui aujourd’hui a des convictions, le lendemain des convictions inverses lorsqu’il se trouve dans l’impérieuse nécessité de contredire un adversaire politique. Si j’en crois cette fois huffingtonpost.fr (16/02/2017), pour répondre au candidat Macron alors en visite en Algérie, qui avait qualifié la colonisation de « crime », de « crime contre l’humanité » et de « vraie barbarie » (je cite à nouveau), lors d’un meeting à Compiègne, il a vertement rétorqué : « Cette repentance permanente est indigne d’un candidat à la présidence de la République ».

Il me semble évident, pour moi qui suis né après toutes les guerres qui ont marqué l’histoire de la France, que la colonisation est un crime. Je dépose délicatement dans le même panier de mon approbation Messieurs Fillon et Macron. Il me paraît tout aussi évident que si j’avais vécu au XIXème siècle, j’aurais vraisemblablement eu une vision quelque peu différente, il est même possible que je me fusse vivement réjoui de la constitution d’un empire colonial français. Si j’avais été Allemand, Belge, Britannique, Espagnol, Néerlandais ou Portugais, j’aurais pu tout autant éprouver ce sentiment de nationale fierté. Fermez le ban.

Mais peut-on condamner les enfants d’un tortionnaire au service d’une dictature sanglante, va-t-on jeter au visage des petits enfants d’un dignitaire nazi les horreurs commises par leur grand-père ?* Nous ne sommes pas responsables des exactions dont nos ancêtres ont pu se rendre coupables, il est des héritages insupportables et nauséabonds dont on aimerait oublier l’existence. Quand bien même nous nous repentirions, rien ne permettra de gommer, de changer, de recréer, de reconstruire le passé. Quand les populations de lointaines contrées ont été anéanties, quand des civilisations ont été rayées de l’humanité, rien ne pourra les ressusciter.

Certes. Mais est-ce une raison pour oublier que l’histoire de la France est loin d’être glorieuse ? Bien évidemment, ce n’est pas la seule dans ce cas, elle est loin d’être esseulée, de nombreux autres pays, européens mais pas uniquement, l’ont imitée. De tout temps, à la surface de notre petite planète, il y eut des peuples conquérants et des peuples soumis au joug de leurs envahisseurs, des empires qui se créaient dans le sang, de nouvelles civilisations qui naissaient avant de disparaître à leur tour quelques décennies ou siècles plus tard…

Plongeons un instant, très brièvement si vous le voulez bien, dans la réalité de notre histoire sans nous voiler la face. La féodalité, la servitude, la misère ponctuée de famines, les rois de droit divin, les guerres qui se succédaient, la traite des Noirs, la révolution avec ses excès, ses exécutions sommaires… Bien sûr me rétorquerez-vous, il y eut les châteaux, les palais royaux et toutes ces magnifiques bâtisses qui aujourd’hui encore illuminent notre territoire. Construites à quel prix ? Quel en fut le coût humain ? Comment les différents commanditaires s’étaient-ils procuré l’argent nécessaire pour les ériger, quelles furent les conditions de travail des ouvriers bâtisseurs ? Je n’ai à ce sujet que de vagues connaissances superficielles, celles du citoyen lambda, dignes de l’imaginaire collectif, mais je ne décèle aucune raison objective de m’enorgueillir de ce passé dont je suis le détenteur d’une infime fraction.

Puis vinrent les conquêtes coloniales et les autochtones considérés comme des sous-hommes quand ils n’étaient pas tout bonnement massacrés. Dans certaines régions, d’Afrique et d’Amérique notamment, les colonisateurs assoiffés de territoires et de richesses contribuèrent efficacement à la disparition des peuples indigènes ainsi qu’à l’anéantissement de leurs civilisations.

J’allais oublier ce discours de François, donné le 28/08/2016 à Sablé-sur-Sarthe (et fort opportunément rappelé par ouest-france.fr), dans lequel il eut cette sublime envolée lyrique : « non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du nord ».

Inversons les rôles un instant voulez-vous.

Imaginons qu’à partir de 1830, un corps expéditionnaire nord-africain envahisse le sud de la France puis s’y installe solidement, réalisant progressivement la « pacification » de ses nouvelles conquêtes. Pacification qui permet l’occupation durable de colons qui s’empressent d’accaparer les meilleures terres, usant et abusant du travail forcé, des pacificateurs qui pillent et exproprient, qui s’emparent des richesses locales afin d’accélérer le développement économique du pays. A leur profit.

Imaginons que quelque vingt ans plus tard, un corps expéditionnaire ouest-africain se lance à l’assaut du centre de la France et, lentement mais sûrement, conquiert cette partie de l’Hexagone afin de s’approprier et d’exploiter tous les secteurs les plus favorables et les plus prometteurs. Imité quelques années plus tard par un corps expéditionnaire indochinois qui débarque en Normandie, colonise graduellement le nord de la France, soumet les populations locales, les spoliant de leurs richesses.

Bien évidemment, les Nord-Africains, les Africains subsahariens et les Indochinois auraient apporté dans leurs baguages respectifs leur langue, leur monnaie, leur culture, leur organisation politique et sociale, leurs goûts, leurs traditions, leurs centres d’intérêt, leurs mœurs et coutumes, leurs rituels, leurs croyances et religions, leurs techniques de production… Afin d’en faire « bénéficier », chacun dans leurs colonies respectives, les indigènes asservis que nos ancêtres seraient devenus. Sans se préoccuper d’aucune façon de nos civilisations inférieures qu’ils n’auraient de cesse de faire disparaître. Afin que lesdits indigènes puissent pleinement partager la culture de leurs envahisseurs et nouveaux maîtres. Et, pourquoi pas, en rédigeant eux aussi, pour mieux soumettre ces sous-hommes domestiqués, un code de l’indigénat.

Pourrait-on reprocher à leurs descendants, aujourd’hui nos contemporains, de refuser toute repentance pour ce qu’ils pourraient désormais considérer comme un crime ?

Au début des années 1940, l’Allemagne envahit notre pays dans le but – semble-t-il inavoué à l’époque – de nous faire partager sa culture. Lui en avons-nous été reconnaissants ? Avons-nous apprécié à sa juste valeur cet esprit de sacrifice teuton ? Si j’en crois la liesse qui marqua la fin de cette occupation quelques années plus tard, cette invasion fut plutôt mal vécue par nos concitoyens. Malgré sa brièveté. Et pourtant la libération des Français ne fut pas accompagnée de celle des peuples colonisés. Bien au contraire. Les velléités d’indépendance et les soulèvements dans les colonies furent réprimés au prix de milliers de morts, dans le Constantinois (en 1945), à Haiphong (1946) et à Madagascar (1947) mais aussi dans une moindre mesure à Casablanca (1947) et en Côte-d’Ivoire (1949-1950). Quand les colonies ont voulu recouvrer leur liberté, le pays qui se targue d’avoir inventé dès 1789 les Droits de l’homme et du citoyen n’a pas hésité à envoyer ses troupes qui se sont conduites comme n’importe quelle armée d’occupation, avec l’utilisation de la torture, avec ses exécutions et ses exactions, avec ses « rebelles » et « terroristes » fusillés et ce que nous appellerions aujourd’hui ses « dommages collatéraux ». Membre fondateur des Nations Unies, signataire en 1948 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il fallut deux guerres pour le contraindre à redonner leur liberté aux Vietnamiens puis aux Algériens.

S’ils l’avaient subie, plutôt que de l’imposer à d’autres, la colonisation aurait-elle semblé aussi naturelle et aussi bienfaisante à nos ancêtres des XIXème et première moitié du XXème siècles ?

* Les mères ou grands-mères pouvaient applaudir des deux mains mais elles étaient exceptionnellement les exécutantes ou les donneuses d’ordre.

Manuel d’histoire critique, de la révolution industrielle à nos jours (2014) Hors-série, Le Monde diplomatique, 178 pages.

https://www.ouest-france.fr/politique/francois-fillon/esclavage-et-colonisation-fillon-refuse-la-repentance-4585991

http://www.huffingtonpost.fr/2017/02/16/francois-fillon-critique-les-propos-demmanuel-macron-sur-la-col_a_21715358/

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/11/25/herero-et-nama-premier-genocide-du-xxe-siecle_5038156_3212.html

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Massacres_coloniaux-9782707146335.html

https://www.herodote.net/29_mars_1947-evenement-19470329.php

http://jacques.morel67.pagesperso-orange.fr/ccfo/crimcol/node109.html

http://www.lepoint.fr/culture/les-terribles-consequences-de-l-incident-de-haiphong-15-12-2011-1408023_3.php

http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Droits_de_l%27homme#Premi%C3%A8re_d%C3%A9claration_des_droits_humains_(1776)

http://histoirecoloniale.net/Algerie-un-etat-des-lieux-en-1954.html

05/01/2018