Delaware’s paradise

Je ne suis pas sans ignorer que selon Nicolas S. les paradis fiscaux n’existent plus. Et pourtant, pourtant, je n’aime que ceux là, aurait pu chanter Charles. Aznavour, pas de Gaulle.

Selon lepoint.fr du 04/11/2011 (je cite) : « le président français Nicolas Sarkozy a assuré vendredi que les pays qui continuent à abriter des paradis fiscaux, dont une liste de 11 devrait être publiée, seraient « mis au ban de la communauté internationale, en conclusion du sommet du G20 à Cannes. »

Rue89 rappelle opportunément que lors d’une intervioue sur TF1 et France2 le 23/09/2009, il avait déjà eu l’audace d’asséner de façon péremptoire : « Il n’y a plus de paradis fiscaux. Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est fini. »

Illusion, autosatisfaction aveugle ou bourrage de crânes, formatage de cerveaux déjà convaincus ? A ce moment déjà, que le dirigeant d’un petit pays (si l’on considère le montant annuel des transactions financières comparé au PIB de l’Hexagone) assène avec une telle assurance que les multinationales devraient dorénavant suivre les injonctions des politiques, donc les siennes, m’avait beaucoup amusé. Qu’en est-il aujourd’hui ?

A la lecture du « Canard enchaîné » du 15/07/2015, je découvre que mes doutes étaient fondés. Les paradis fiscaux existent toujours, avec la complicité des politiques qui, officiellement, continuent à lutter de toutes leurs maigres forces contre leur existence. Ils semblent si désarmés qu’on arriverait presque à les plaindre.

Rappelons que le commissaire européen à l’économie est français (Pierre Moscovici, ancien ministre hollandais, donc « socialiste »). Qu’un autre « socialiste », Pascal Lamy fut président de l’OMC de 2005 à 2013. Mâme Lagarde est à sa place à la tête du FMI, elle ne renie pas ses valeurs. Au premier abord, le fait que deux « socialistes » aient accepté ces fonctions aurait pu surprendre mais, contrairement à ce qu’il laisse accroire, le monde politique au pouvoir se resserre dorénavant autour de quelques fondamentaux. Lesquels ? A vous de les retrouver.

Pour en revenir à notre sujet du jour, tel que le narre « Le Canard », sachez que la commission a rendu publique une liste des paradis fiscaux. Elle reprend celle établie par les experts de l’OCDE, en oubliant d’y inclure le Delaware !!! Simple maladresse administrative, simple oubli ? Certes pas, les USA et l’Europe sont mus par les mêmes conceptions sociétales, économiques et politiques, la seconde n’a nulle envie, ni les moyens véritables, de nuire à ses puissants alliés. Vouloir intempestivement perturber la bonne marche des affaires nord-américaines (et subséquemment européennes, puisqu’elles sont intimement mêlées), vouloir s’immiscer dans les lois dictées par le marché, ce serait faire preuve d’une folle audace d’un très mauvais goût. Si la puissance et la misère déterminent les rapports humains (selon que vous serez puissant ou misérable…), ce sont les rapports de force qui régissent les relations qui se créent entre les états. Or, idéologiquement, technologiquement et financièrement, l’Europe est désormais à la remorque des USA. Ce qui explique le titre que Jean-Pierre Chevènement donne à juste titre à son entretien avec « Marianne » (N° 951 du 10 au 16 juillet 2015) : « Nous sommes passés dans l’allégeance au suzerain américain ».

Et le Delaware, n’allez-vous pas manquer de me rappeler. Sachez que ce minuscule état nord-américain, situé sur la côte orientale des USA, comptait en 2014 moins de 950 000 habitants. Petit état certes, mais à l’histoire coloniale mouvementée. Devenu colonie britannique en 1674 après quelques échauffourées entre les couronnes suédoise, néerlandaises et anglaises pendant plus de 40 ans, il sera le premier état à signer la constitution américaine, le 7 décembre 1787. Il rejettera toutefois le 13ème amendement à la constitution américaine du 31 janvier 1865, un article qui ne sera finalement ratifié qu’en 1901 ! C’était celui qui supprimait l’esclavagisme. A cette époque déjà, cet état du nord savait préserver ses intérêts économiques et proposer quelques menus services.

Pour éviter de paraphraser « Wikipedia » d’où je tire ces éléments, je vous livre in extenso quelques renseignements complémentaires : « …/… une société qui exerce ses activités hors des limites de l’État, ne subit qu’une taxation forfaitaire et minime (environ 300 €). Aussi de nombreuses sociétés, y compris d’importantes multinationales, y ont leur siège. Plus de 40 % des entreprises cotées à la Bourse de New York y sont domiciliées. 65,6% des entreprises du Fortune 500, qui recense les plus grandes entreprises américaines par revenu, sont déclarées dans le Delaware, alors que seulement 2 y ont leur siège (soit 0,4%).

Un seul immeuble du Delaware, contient plus de 200 000 boîtes aux lettres d’entreprises américaines dont Coca Cola, JP Morgan, Apple, Google ou Ford. Les entreprises y sont domiciliées à l’aide d’une simple boîte aux lettres…/… Les résidents sont également peu taxés : l’impôt sur le revenu a six tranches, de 2,2 % à 5,95 %, il n’y a pas de TVA ni de taxes sur la consommation. La taxe sur le chiffre d’affaires (et non sur le bénéfice) varie de 0,096 % à 1,92 %. Chaque comté et chaque ville lèvent leurs propres taxes foncières en vue de financer le système éducatif. »

Évidemment, ce système présente quelques avantages, y compris pour ses habitants dont on comprend aisément qu’ils n’en veuillent point changer, pour peu que leur seul bien-être compte à leurs yeux, ce qui est, il faut en convenir, l’apanage de la majorité des habitants des pays dits « riches ». Pour les autres aussi sans doute mais dans ce contexte, leur avis n’importe pas ou si peu qu’on peut se permettre de les abandonner à leur triste sort. Avantages propres à attirer les sociétés désireuses de verser de gros dividendes à leurs actionnaires en évitant de payer des taxes, impôts et autres inutiles billevesées.

« Le canard » déjà cité apporte quelques précisions non dénuées d’intérêt : « état qui abrite 950 000 sièges sociaux d’entreprises, dont plus de la moitié des multinationales américaines (General Electric vient s’ajouter à la liste)…/… l’anonymat des actionnaires est garanti pas la législation locale…/… Le Figaro du 26/06 cite un élu démocrate du Delaware : « il faut, ici, plus de documents pour s’inscrire à la bibliothèque que pour monter une société ». Quant aux obligations légales que doivent respecter les sociétés, elles sont négligeables. »

Vous n’êtes toujours pas convaincu. Autre source (mediapart.fr, article publié le 11/02/2014) : ce petit État de la côte est américaine propose en effet une fiscalité des plus légères, garantit l’anonymat aux administrateurs et actionnaires d’une entreprise, et dispose de tribunaux historiquement pro-business, facilitant le règlement de tout contentieux. De quoi séduire certains géants américains, comme Apple, Netflix, JP Morgan, Amazon ou Google…/… Situé aux portes de Washington, la capitale fédérale, le Delaware est en effet un paradis pour entreprises, sinon un paradis fiscal. « Un lieu permettant de détourner le système et de le faire légalement », résume David Brunori, professeur de droit et expert en droit fiscal à l’Université George Washington, à Washington…/… Les autorités locales ont progressivement donné naissance à un système où l’on peut légalement domicilier une entreprise ou une filiale dans l’État, sans y avoir ni employés ni activité à proprement parler, et en y payant un minimum d’impôt. Les sociétés ainsi immatriculées dans l’État ne payent pas d’impôt sur les sociétés, d’impôt sur les bénéfices, ni d’impôts sur les « biens immatériels ». Au bout du compte, une société ne paiera quasiment aucune taxe locale, et devra seulement s’acquitter de l’impôt fédéral américain (compris entre 15 et 34 % des bénéfices). La seule contrainte ? Toute société voulant bénéficier de ce régime doit disposer d’un « siège social » dans l’État, à savoir d’une adresse, d’un bureau ouvert aux heures habituelles et d’un agent pouvant recevoir et traiter son courrier, un service facturé autour de 250 dollars par an. S’y ajoutent des frais administratifs redevables à l’État, compris entre 125 et 250 dollars par an selon la taille de l’entreprise. Autrement dit, le coût annuel d’une société établie dans le Delaware tourne autour de 400 dollars par an. Si ces frais sont minimes, ils sont essentiels à l’État : ils représentent désormais près de 30 % de son budget annuel…/… Les PME françaises ne sont pas en reste. En témoigne un comptable français installé à New York, préférant rester anonyme: il a déjà aidé quelque 200 entrepreneurs français à créer une société dans l’État. »

And business goes on.

Notre chère et dogmatique « concurrence libre et non faussée » trouve au Delaware un magnifique terrain de jeu. Dans ce cadre du commerce international, les accords économiques en cours entre l’Europe et les USA (TAFTA) peuvent-ils se faire sur un véritable pied d’égalité ? Permettez-moi d’en douter mais ceci est une toute autre histoire. Libre à vous de vous renseigner ou de continuer à vous enfoncer dans le néo-capitalisme outrancier. Et d’en subir les effets néfastes. Sans même en être conscients ni bien évidemment, en prendre le moindre ombrage. Car si les réveils tardifs sont bien souvent douloureux, les simples d’esprit sont bienheureux puisque le royaume des cieux leur appartient.

https://www.wto.org/french/thewto_f/dg_f/pl_f.htm

http://rue89.nouvelobs.com/2009/09/23/sarkozy-magie-magie-les-paradis-fiscaux-cest-fini

http://www.lepoint.fr/economie/sarkozy-les-paradis-fiscaux-seront-mis-au-ban-de-la-communaute-internationale-04-11-2011-1392784_28.php

https://fr.wikipedia.org/wiki/Delaware

http://www.etudes-fiscales-internationales.com/media/02/00/3706817479.pdf

21/07/2015