Déserts jaunes, déserts verts

Déserts jaunes

Ce sont ceux que Dieu a créés. Enfin presque. Ils auraient quelque peu changé depuis lors, mais bon, on ne va pas chipoter pour si peu. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a 15 000 ans, les hommes habitaient le verdoyant Sahara dans lequel ils côtoyaient éléphants, hippopotames et autres crocodiles. Cette période florissante prit fin il y a plus ou moins 6 000 années et le processus de désertification s’est lentement imposé, chassant progressivement toute vie. Enfin presque. Quelques espèces ont survécu, au prix de drastiques adaptations, fruits d’une longue évolution (prévue par Dieu, of course), qui leur permettent de réaliser dorénavant quelques performances de haut niveau. De mémoire, des fourmis qui se hâtent de rentrer dans leur nid avant d’être cuites par le soleil, la Vipère des sables, un lézard qui court sur ses pattes arrière et se pose alternativement sur ses pattes opposées pour éviter de les brûler. Plus d’infos ? Que ne ferais-je pour vous ? J’opte pour quatre pattes supplémentaires, j’enfile mon déguisement d’araignée et je m’élance sur la toile.

Les Fourmis argentées du désert (Cataglyphis bombycina) dont je causais tantôt ont réussi leur petite révolution bien à elles ; grâce à leur ingéniosité, en innovant, elles ont modernisé leur société et développé quelques particularités essentielles à leur survie (on croirait un discours politique) :

  1. terriers à l’atmosphère humide dans lequel la température se maintient entre 25 et 30° C.
  2. corps recouvert de rangées de soies blanches argentées qui réfléchissent la lumière et diminuent l’impact du soleil sur leur métabolisme.
  3. pour éviter les prédateurs, elles attendent que la température soit suffisamment élevée, et sortent toutes en même temps du nid à la recherche de proies ; elles ne restent que 10 mn par jour à l’extérieur du nid. Dix minutes de boulot par jour, 23 h et 50 mn bien au frais dans leur fourmilière, à s’occuper de leurs mecs tout en regardant la télé.
  4. elles synthétisent des protéines spéciales protectrices de la chaleur, elles ne sont pas les seules me direz-vous, MAIS elles le font quelques minutes avant de se jeter dans la fournaise ! Elles peuvent alors résister à des températures de surface atteignant 90°C et leur température interne peut grimper jusqu’à 50°C (elles commencent à défaillir aux alentours de 70°C).
  5. lorsqu’elles courent portées par leurs très longues pattes (plus longues que celles d’une fourmi classique, ce qui leur permet de rehausser leur corps), elles n’en utilisent que quatre et, en une seule seconde, avalent l’équivalent de 100 fois leur taille.
  6. elles sont capables d’une analyse podométrique et spatiale de leur environnement, c-à-d d’apprécier la distance parcourue et de retrouver la direction de leur nid en se repérant à l’aide de la lumière du soleil, ce qui leur permet d’y retourner en ligne droite, donc très rapidement, avant l’issue fatale.
  7. elles peuvent porter de 20 à 50 fois leur propre poids.
  8. et pour terminer, j’ajouterai que lorsqu’elles sont stressées par la présence d’un prédateur ou un risque de surchauffe, elles piquent une pointe à un mètre par seconde. OK, les meilleures sprinteuses grignotent presque 10 m de Tartan durant cette même seconde. Mais elles ne mesurent pas 3 mm. Si elle avait une taille humaine, Cataglyphis bombycina courrait à environ 350 m/s, ce qui lui permettrait de passer le mur du son à chaque accélération (en fait, elle imploserait bien avant d’atteindre cette vitesse).

Course d’orientation, course de vitesse, haltérophilie, résistance physiologique, ces bestioles pulvérisent tous les records des « athlètes » les plus fameux. Et tout ça, gratos, juste pour le bien-être de la colonie. Et tout ça, avec à peine 40 000 synapses. Chapeau les artistes !

Cerastes cerastes, la Vipère à cornes. Se nourrissant de petits rongeurs et de lézards (il en existe dans le Sahara), elle peut atteindre une longueur de 80 cm, vivre une dizaine d’années et pousse le mimétisme jusqu’à avoir les yeux couleur de sable, comme le reste du corps. Sa tête s’agrémente de deux petites cornes, juste en arrière des yeux. Selon les circonstances, elle se déplace de différentes façons : classique progression sinueuse, bonds qui lui permettent de progresser à très vive allure et d’escalader les dunes, laissant dans le sable des traces en forme de S allongés et parallèles, déroulement latéral qui se traduit par un tracé discontinu. Quand il fait trop chaud, elle s’enterre, ne laissant dépasser que les yeux. Elle adopte alors une activité nocturne, ce qui la conduit à se balader pendant des heures, dévorant les kilomètres. A l’occasion, elle dévore aussi ses proies qui lui fournissent l’eau dont elle a besoin.

Pour ce qui concerne le lézard danseur, je ne suis pas persuadé qu’il vive dans le Sahara. Mais sentant venir une réelle adynamie, bien compréhensible par de telles températures, je vous laisse le soin de le rechercher.

Déserts verts

Ce sont ceux que vous avez créés. Incidemment, presque par accident, par ignorance, inadvertance ou j’m’en-foutisme. Vous les connaissez, ils sont à votre porte, vous les foulez tout au long de l’année. De belles pelouses bien rases dans lesquelles aucune vie ne subsiste.

PS : Bien qu’ayant vécu durant quatre années au Niger, je n’ai jamais entrepris la traversée du Sahara à dos de dromadaire. L’évocation de cet animal me conduit à m’interroger sur l’expression « dos d’âne », particulièrement saugrenue si l’on considère qu’un âne n’a pas le dos bombé. Un dromadaire, si. Mais un « dos de dromadaire », c’est particulièrement inesthétique au plan de l’euphonie. Donc pourquoi ne pas dire un domadaire, mot que je vais sans plus tarder proposer à la sagacité de nos éminents académiciens. Quand j’observe les trésors d’imagination que je m’oblige à déployer pour votre seule satisfaction intellectuelle, je me dis que mieux vaudrait que j’entreprenne la traversée du Sahara. Sur un âne, en dépit des innombrables domadaires qui émaillent sa surface.

http://www.lefigaro.fr/sciences/2008/05/13/01008-20080513ARTFIG00576-comment-le-sahara-est-devenu-un-desert.php

http://nature-extreme.psyblogs.net/2011/08/la-fourmi-argentee-du-desert.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Vip%C3%A8re_%C3%A0_cornes