Sous-titre : Réponse à l’insatiable curiosité scientifique qui anime nos lecteurs.
L’échéance de Mars 86 est proche, nul ne l’ignore ; le tout dernier sondage révèle que 99,755 % des Français * ignorent ce que sont les Odonates (prononcer lé zodonates). Ce sont tout simplement des insectes qu’on appelle également LIBELLULES.
Voilà. Cet article d’une haute teneur scientifique aurait pu s’arrêter là, sur cette affirmation péremptoire mais je sais combien grande et profonde est l’envie que vous avez tous de découvrir – enfin ! – l ‘étho-éco-biologie de ces charmantes bestioles. Calmez votre impatience, réfrénez votre enthousiasme, nous y voilà !
Sachez d’abord qu’il existe 2 sortes d’odonates (insectes aux mâchoires dentées) :
– les ZYGOPTÈRES, souvent appelés « Demoiselles », quel que soit leur âge d’ailleurs, insectes graciles dont les 4 ailes sont, au repos, tenues jointes au-dessus de l’abdomen.
– Les ANISOPTÈRES, plus gros, plus trapus, au vol rapide (jusqu’à 30 km/h) dont les ailes sont tenues étalées lorsqu’ils sont posés.
Chapitre 1 : Le retour aux sources ou la vie aquatique.
Dame libellule, selon l’espèce, pond ses œufs directement dans l’eau ou dans un végétal proche de l’eau. Assez rapidement, l’œuf donne naissance à une larve (bien que chez certaines espèces, les œufs doivent réfréner leur frénésie jusqu’au printemps suivant avant de se transformer en larves !) et celle-ci va alors accomplir son petit bonhomme de nage, dissimulée dans la végétation aquatique ou enfouie dans la vase, guettant ses proies (petits insectes, larves, mollusques **, crustacés…) innocentes victimes de sa boulimie exacerbée.
Qu’elles se rassurent cependant, la morale est sauve puisque ces terribles prédateurs sont eux-mêmes les proies d’oiseaux, de poissons, d’insectes aquatiques… qui eux-mêmes etc… etc… En aparté : j’eus pu à cet endroit de l’exposé placer une brillante citation latine vantant la précarité et la rigueur de l’existence de tous ces êtres marqués par le destin mais je parvins à m’en abstenir.
Bref, les larves se développent au gré de leurs mues successives (de 9 à 16 selon les espèces) et les plus précoces parviennent à maturité donc à métamorphose dès le fin de l’été. Beaucoup cependant devront passer l’hiver sous cette forme et il en est même – me suis-je laissé dire – qui doivent patienter 3 ou 4 ans voire davantage avant de pouvoir commencer à caresser l’espoir de réaliser enfin leur rêve le plus fou : quitter l’eau pour aller s’enivrer, grisées par l’espace dans lequel un matin de printemps ensoleillé, elles vont pouvoir s’élancer…
Chapitre 2 : La vie conjugale ou le cyclotourisme aérien.
Avant de s’élancer, disais-je donc, la larve – dont la respiration anale s’est progressivement transformée en respiration thoracique – grimpe sur un support végétal sur lequel elle va accomplir sa métamorphose.
Écoutons plutôt le récit d’AESHNA : « Dure période que celle-ci, brave gens, oh oui, avec une césarienne qui peut rater et je voudrais bien vous y voir, vous, essayant de voler avec seulement trois ailes ! Et tous ces affreux qui ne pensent qu’à nous dévorer pendant notre lente transformation, au cours de notre premier vol, si laborieux ! Et le vent, et le froid et… Mais admirez plutôt mon talent inné d’équilibriste, me reposant, la tête en bas SVP, pour me mirer dans l’eau. » ***
Quelques heures plus tard, Aeshna nous quitte pour prendre des vacances bien méritées : une quinzaine de jours au vert, afin d’assurer sa maturation, avec notamment au programme affermissement des ailes, pigmentation du corps, développement des gonades afin d’être rapidement en âge de se reproduire et… nourriture : insectes divers – et d’été – suffisamment myopes pour ne pas remarquer que ses yeux pouvant compter jusqu’à 30 000 facettes sont au service de mâchoires broyeuses particulièrement efficaces.
Voile discret sur cette période difficile de l’adolescence……………..
C’est la rentrée : notre libellule enfin adulte **** va se lancer ardemment à la recherche de l’odonate aimé qui voudra bien partager son existence, l’espace de quelques secondes ou de quelques minutes (jusqu’à une heure suivant l’espèce)…
Notre envoyé spécial nous a rapporté de ses longs mois de voyeurisme un récit exclusif qu’il a intitulé « La flexibilité ou pourquoi ne pas se compliquer l’existence » Accrochez bien vos ceintures, ça va être technique !!!… « Chez le mâle, l’émission de sperme se fait à l’extrémité de l’abdomen mais le pore génital est inapte à assurer la fécondation de la femelle. Il existe heureusement sous le deuxième segment de l’abdomen des pièces copulatrices (dont le pénis) dans le réceptacle desquelles il va transférer le sperme dès qu’il aura capturé une femelle »…
* Ce même sondage dévoile que le pourcentage des Odonates ignorant l’existence des Homo sapiens est sensiblement identique.
** Toute ressemblance avec le lecteur serait purement fortuite.
*** Vrai seulement pour les Anisoptères : les Zygoptères s’accrochent à la dépouille de la larve pour extraire leur abdomen.
**** Toute ressemblance avec le lecteur serait à nouveau purement fortuite.