Grèce

La Grèce vient de nous donner une leçon de démocratie. Une notion obsolète qui, dans la triste banalité de la vie politique desdites démocraties ou réputées telles, consiste à aller religieusement déposer un bulletin dans une urne, ceci à fréquence plus ou moins régulière selon les pays et selon des normes elles-aussi variables. Ensuite, et malheureusement quelle que soit leur étiquette, à quelques individualités près (dont bien évidemment José Mujica Cordano, surnommé « Pepe Mujica », le président uruguayen), les élites/élus disent aux citoyens : « OK, vous avez rempli votre rôle, à nous maintenant de faire notre boulot, nous, on sait, vous, vous ignorez, donc quelles que soient les décisions que nous prendrons, ce seront les bonnes. Les bonnes pour vous ! » Pas pour eux bien sûr, car un élu travaille toujours pour le bien-être de ses concitoyens. Un élu est toujours mû par le seul esprit de sacrifice. Et depuis des lustres, les moutons que globalement nous sommes, acquiesçons. Les politiques ont, de fait, monopolisé, accaparé, confisqué le pouvoir des citoyens en s’arrogeant le droit de décider seuls du sort de leur pays. Pourquoi ne pas organiser des votations sur le modèle suisse dès lors que se posent des questions cruciales pour l’avenir du pays ?

La Grèce a décidé d’organiser un référendum lorsqu’une décision qui hypothéquait son avenir et celui de ses habitants devait être prise. Les Grecs avaient le choix entre la peste et le choléra. Soit voter « oui » et accepter de nouvelles mesures de récession et d’appauvrissement qui seraient venues s’ajouter à celles déjà en vigueur, salaires baissés, retraites diminuées, dépenses publiques réduites, privatisations, chômage massif… Soit voter « non » et voguer vers un dangereux inconnu, avec toutes les incertitudes liées à une éventuelle sortie de l’euro et surtout à l’intransigeance jusqu’alors affichée par le FMI et certains dirigeants européens. Et chacun sait que, via les médias, les gouvernants utilisent la peur comme un très efficace moyen de pression pour nous faire adhérer inconsciemment à leurs idées, leur accorder un blanc-seing et accepter sans coup férir leurs décisions.

C’était compter sans un sursaut de fierté. L’humiliation avait assez duré ! Certes le faible taux de participation (62,5 %) enlève une partie de sa valeur au résultat, néanmoins 61,3 % des votants se sont prononcés contre les mesures imposées par La Banque centrale, la commission européenne et le FMI.

« Berlin estime que Tsipras a coupé les derniers ponts » peut-on lire sur le site 20minutes.fr. C’est tout à la fois désopilant et affligeant. Qu’un gouvernement représentatif d’une soi-disant démocratie réagisse ainsi à l’issue d’un référendum dans lequel on demande au peuple de se prononcer montre jusqu’à quel point de déliquescence certains gouvernants sont arrivés. On nous refait le coup du projet de traité constitutionnel ? En France, quand le peuple avait « mal » voté, le pouvoir en place s’étaient arrangé pour court-circuiter la décision populaire et faire voter de nouvelles mesures conformes à ses propres intérêts. Mille excuses, aux intérêts de la France et des Français.

Je ne peux résister au plaisir de citer « Marianne » (N° 951 du 10 au 16 juillet 2015) qui relate le gazouillis (tweet en rosbeef) de l’éditorialiste et directeur adjoint du « Monde », Arnaud Leparmentier – un nom que je vous autorise à rapidement oublier – lequel, en fin politique connaisseur de la Grèce s’était réjoui  : « Le plus drôle, c’est que les Grecs vont virer Tsipras en votant oui à l’Europe ». « Marianne » le définit comme un néocon. Néo signifie nouveau, il s’agirait donc d’un nouveau con. Pour ce qui me concerne, je partagerais volontiers l’avis de Brassens, dans sa chanson « Le temps ne fait rien à l’affaire » : Quand on est con, on est con / Qu’on ait vingt ans, qu’on soit grand-père / Quand on est con, on est con. Il ne serait donc pas un nouveau con, sa connerie aurait mûri, l’accompagnant pas à pas tout au long du périple de son existence.

A ce niveau de réflexion, il me semble qu’un petit retour dans l’histoire de l’Europe ne serait pas tout à fait inutile. Il pourrait se traduire par exemple par ces deux questions : les vols commis à travers toute l’Europe par l’Allemagne nazie (Grèce incluse) ont-ils jamais été remboursés, les victimes des innombrables exactions perpétrées ont-elles jamais été indemnisées ? Quid de l’annulation de la dette allemande en 1953 ? (1)

Ceux qui me connaissent un tant soit peu ne seront pas surpris par le choix du figaro.fr (en l’occurrence, celui du 27/01/2015) pour répondre à cette double interrogation :

« De fait, l’accord de Londres signé le 27 février 1953 a permis à la République fédérale d’effacer plus de la moitié de sa dette d’avant et d’après guerre. Ce jour-là, 21 créanciers de la RFA – dont la Grèce, la France, la plupart des pays européens, la Suisse, les États-Unis, le Canada, l’Iran, l’Afrique du Sud ou la Yougoslavie – décident d’aider l’Allemagne de l’Ouest, alors en situation de défaut de paiement. Les emprunts renégociés concernaient à la fois des obligations issues du traité de Versailles de la première guerre mondiale jamais honorées, des emprunts souscrits par la République de Weimar dont le paiement des intérêts avait été suspendu au début des années 1930 et des emprunts contractés après-guerre auprès des Alliés.

L’accord de Londres permet à la République fédérale de réduire le montant initial de ses créances d’avant et d’après guerre de près de 38 milliards de Deutsche marks – avec les intérêts – à environ 14 milliards, soit une annulation de 62% de sa dette…/…

Par ailleurs, face à l’insistance de l’Allemagne pour que la Grèce rembourse sa dette, les Grecs ont réveillé un autre souvenir de guerre. En 1941, un montant de 476 millions de reichsmarks – la monnaie allemande de l’époque – avait notamment été directement extorqué à la Grèce par l’Allemagne nazie. En 1946, l’Allemagne avait ainsi été condamnée à payer 7 milliards de dollars à la Grèce à titre de réparation pour l’occupation. Cette dette n’était pas couverte par l’accord de Londres de 1953. Ainsi, en 2012, le député européen Daniel Cohn-Bendit avait estimé que cette créance vaudrait aujourd’hui l’équivalent de 80 milliards d’euros. Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de gauche, estime lui que «les Allemands doivent 168 milliards d’euros, à la valeur actuelle, à la Grèce. Pourquoi ? Parce que les Allemands ont occupé la Grèce et lui ont fait payer les frais d’occupation.» (1)

Quittons l’Europe pour gagner l’Amérique latine. Certes, les experts me feront remarquer que… et que… et que… Je les renvoie aux paroles expertes d’un certain Georges Brassens déjà sollicité. Que se passa-t-il en 2003 en Argentine ? Le 26/09/2003, liberation.fr nous l’apprend : « Le 10 septembre, l’Argentine décide de ne pas régler l’ardoise. Le pays se retrouve en situation de défaut total de paiement. Après le refus de payer les intérêts aux créanciers privés, le voilà qui claque la porte des institutions financières internationales ! Kirchner joue l’intransigeance, contre l’avis de son ministre des Finances, Roberto Lavagna. Le lendemain, 11 septembre, le FMI va pourtant céder…/… Lundi, l’équipe de Lavagna débarque à Dubaï, à l’occasion de la grand-messe du FMI et de la Banque mondiale. Elle lâche son pavé : ce sera 75 % d’annulation de la dette de 94,3 milliards. Et pas plus de 3 % d’excédent budgétaire consacré aux remboursements des dettes. A prendre ou à laisser. Émoi des créanciers étrangers. »

Aurais-je partagé leur émoi ? Je n’en suis pas certain.

Mais ainsi que me le suggère mon fils cadet, il existe pourtant une solution pour la Grèce : se transformer comme d’autres pays européens en paradis fiscal, attirer les capitaux afin de réduire sa dette. Les économistes et journalistes néocons nous vantent sans cesse les mérites de l’Irlande. Il en est un qu’ils passent religieusement sous silence. C’est à nouveau un article du figaro.fr, daté du 14/10/2014 cette fois, qui dévoile le pot aux roses fiscal :

« Le ministre des Finances irlandais l’a annoncé ce mardi lors de la présentation au Parlement du budget 2015. «J’abolis la possibilité pour les entreprises d’utiliser le double irlandais en changeant les règles de résidence fiscale. Toutes les entreprises enregistrées en Irlande devront également être des résidents fiscaux», a déclaré Michael Noonan (ministre des finances irlandais, NDR). Le principe du «double irlandais» repose sur une structure hybride: une entité localisée en Irlande pour les activités commerciales et une autre structure enregistrée dans un paradis fiscal, tels les Caïmans ou les Bermudes, où est transféré l’essentiel des profits. La suppression du mécanisme prendra effet au 1er janvier 2015 pour les nouvelles entreprises avec un régime transitoire jusqu’à fin 2020 pour les entreprises existantes…/… L’une des forces de la petite économie celtique repose sur son attractivité fiscale avec son taux d’impôt sur les sociétés à 12,5%, le plus bas de la zone euro. «Ce taux ne changera pas», a martelé Michael Noonan ».

Il ne serait pas inintéressant de savoir depuis combien d’années ce « double Irish » s’exerce mais je sors totalement rasséréné de cette lecture : rien ne sera fait avant cinq longues années, plus de temps qu’il n’en faut aux multinationales pour trouver de nouvelles optimisations fiscales. Via la Grèce cette fois ?

11/07/2015, 23h01, l’heure idéale pour gagner un lit bien mérité.

http://www.20minutes.fr/monde/1645879-20150705-grece-commence-voter-alexis-tsirpas-tete

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/01/27/20002-20150127ARTFIG00150-quand-la-grece-acceptait-d-effacer-la-dette-allemande.php

http://www.liberation.fr/economie/2003/09/26/coup-de-force-argentin-face-au-fmi_446218

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/10/14/20002-20141014ARTFIG00288-l-irlande-durcit-les-regles-fiscales-pour-les-entreprises.php

Complément du 30/07/2015 (grâce au « Canard » du 22 juillet 2015) :

En Allemagne et en France, 24 % des citoyens vivent sous le seuil de pauvreté. Ils sont 28 % en Grèce. La différence n’est pas énorme allez-vous penser. Certes. Après intervention de l’état et des collectivités, par le biais des aides sociales, ce taux descend à 16 % en Allemagne, à 14 % dans l’Hexagone. Mais pas en-dessous de 23 % en Grèce où lesdites aides sont désormais presque inexistantes. Soit le niveau de la Serbie et de la Macédoine.

Et ultime ajout du 13/08/2015

D’aucuns auraient la naïveté de croire que le problème de la Grèce était strictement d’ordre économique. C’est ce que les politiques essaient de nous faire accroire. Ainsi Donald Tusk, président polonais du Conseil européen depuis le 1er décembre 2014. Qui a déclaré : « Mon objectif principal était d’éviter qu’il y ait un gagnant et un perdant dimanche, c’est pour cela que j’ai voulu que la discussion ne porte que sur des faits économiques, pas sur des questions de confiance, de dignité, d’humiliation. » (http://www.lemonde.fr/crise-de-l-euro/article/2015/07/16/donald-tusk-l-accord-avec-la-grece-a-permis-d-eviter-le-risque-de-chaos-d-une-banqueroute_4686300_1656955.html).

Certes. Mais il a aussi dit (Le Monde diplomatique d’août 2015 citant le Financial Times du 16/07/2015) : « Plus qu’une contagion financière de la crise grecque, c’est le risque de contagion idéologique ou politique qui me préoccupe ». Propos confortés par un ancien dirigeant européen (mêmes sources) : « Le système a montré qu’il était capable d’absorber le virus ».

Les dirigeants européens (Hollande y compris, cf Socialistes ? Mon cul !) n’ont été que trop heureux de punir les Grecs qui avaient eu l’outrecuidance de porter au pouvoir des gens de gauche (des vrais, pas des socialistes à la Française). Leur infliger une bonne déculottée en les obligeant à accepter des réformes contraires à leurs idéaux et à leur mandat, quel pied ! Ils ont donc remporté une double victoire, économique certes mais plus encore idéologique.

Car ne nous y trompons pas, certains gouvernants sont prêts au pire pour faire triompher leurs conceptions du monde. Je ne veux pas ici parler de Staline, de Hitler ou d’autres monstres sanguinaires. Mais d’un pays qui, tout comme le nôtre, s’autoproclame démocratie. Les Américains ont perdu quelque 58 177 soldats durant « leur » guerre du Vietnam. Le 30 avril 1975, ils ont dû s’enfuir précipitamment du pays, abandonnant une bonne partie de leurs supplétifs vietnamiens, tout comme les Français l’avaient fait avant eux en Algérie. Pourtant, selon Noam Chomsky, malgré cette déroute, ce sont les véritables vainqueurs du conflit : ils ont laissé derrière eux un pays ruiné, quelque 3,8 millions de civils et militaires tués, des millions de blessés, de gens déplacés, des antagonismes exacerbés, des zones entières empoisonnées par l’agent orange… Un pays qui avait fait un énorme bond en arrière. Plus aucune crainte de le voir étendre son influence dans cette région de l’Asie. Ce qui était le but recherché.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Viêt_Nam

http://www.herodote.net/1963_1975-synthese-1750.php

(1) Vous n’allez pas tarder à me faire remarquer que c’est effectivement dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes mais que vouloir remettre au goût du jour la dette allemande lors de la deuxième guerre mondiale, ça fait un peu réchauffé. Détrompez-vous, je ne suis pas le seul à réactualiser la tambouille. Que lus-je sous la plume d’Isabelle Bourboulon, dans % lignes d’attac, numéro 112 de janvier 2018 : « L’affaire des réparations de guerre allemandes à la Grèce ». Elle rappelle notamment le lot habituel des morts dus à l’occupation allemande. Estimation de quelque 300 000 décès causés par la seule famine !!! Des exactions natürlich, par exemple 218 villageois de tous âges massacrés à Distomo le 10 juin 1944. A ce désastre humanitaire, s’ajoutent les compensations financières pour les dommages subis, les pillages culturels, les prêts au profit de l’Allemagne imposés à la Grèce par l’occupant. En 2000, « la Cour suprême grecque a rendu une décision exigeant des réparations de l’Allemagne », décision qui n’attend que la signature d’un ministre de la Justice pour devenir exécutoire. « Le montant des réparations a été fixé à 240 milliards d’euros ».

18/01/2018