Ortografe

En cet après-midi ensoleillé du 13 juillet 1789, jusqu’alors légèrement assoupi sur les bancs de l’Académie Française, Raymond Barre sortit brutalement de sa torpeur, l’esprit traversé par une idée aux enzymes et sans bouillir (lamentable blague réservée aux publiphiles quinqua-sexagénaires).* Depuis deux longues journées, beuveries et âpres discussions se succédaient. Il faut concéder que le sujet était d’importance. En effet, les édiles de la docte assemblée s’interrogeaient : les mots de la famille de « résonner » devaient-ils s’écrire avec un seul « n » ou, tout au contraire, prendre deux « n ».

Raymond, permettez-moi de l’appeler ainsi, suggéra à ses collègues esbaubis, ébahis par une telle audace, une solution… miraculeuse. Il proposa d’écrire « résonant ou résonnant, résonance ou résonnance MAIS résonner ET résonateur(trice) ». Epuisés, jaloux de n’y avoir point pensé, ses collègues applaudirent à tout rompre, plébiscitant cette proposition. Qui devint dès lors LA Règle. Ce faisant, inconscients de la portée de leurs actes, indifférents à l’inutile complexité de la langue française, ils ajoutèrent une nouvelle difficulté aux règles d’orthographe d’usage, afin que les candidats au futur certificat d’études primaires** trouvent sur leur chemin un nouvel écueil.

Vous conviendrez avec moi qu’une orthographe standardisée, unique et uniformisée, eût semblé représenter la meilleure solution. Que la simplicité eût dû s’imposer. Mais en tout domaine, le décideur, assis tout au sommet du piédestal de l’échelle sociale, pense que mieux vaut faire compliqué plutôt que simple. Comment sinon conserver son pouvoir si n’importe quel citoyen lambda peut aisément accéder à ce statut social privilégié ? Il lui faut donc poser des barrières infranchissables. Linguistiques, juridiques, morales, religieuses… Toutes celles qui verrouillent le pouvoir et permettent de l’asseoir.

Il faut toutefois reconnaître que cette complexité peut offrir quelque vertu : « détoner » signifie « exploser avec bruit » alors que « détonner » veut dire « ne pas être dans le ton ». Par exemple, imaginons que vous soyez invité à un déjeuner officiel où la queue de morue*** est conseillée et que vous vous y pointiez,  déguisé en fox terrier à poil dur : vous allez quelque peu détonner et, sans doute, cristalliser les regards sur votre humble canidé.

Considérant que l’occasion qui m’est offerte contribue à entretenir mon auto-estime, je profite de cette opportunité pour régler de façon définitive l’embrouillamini que d’aucuns se plaisent à entretenir entre « détonner » et « dénoter ». Ce qui dénote (montre) chez moi un sens aigu de l’à-propos. Dont je me sais gré. Il est possible que vous détonniez en ne partageant pas mon avis particulier mais, dans ce cas, on peut dénoter chez vous un penchant certain pour l’originalité.

C’était, par un verbiage proche de l’inutile, lequel dénote un pendant maladif pour la logorrhée manuscrite, ma contribution à la nécessaire simplification de l’orthographe.

* Solution pour les jeunots : « Génie », la seule lessive aux enzymes et sans bouillir.

** créé par Jules Ferry (mais non, voyons, ce n’est ni l’inventeur des transports maritimes, ni celui des hydroglisseurs) le 28 mars 1882, avec quelques clauses novatrices, qui pourraient surprendre encore actuellement : école obligatoire de 6 à 13 ans, possibilité de le passer dès l’âge de 11 ans et d’être dès lors dispensé du temps de scolarité obligatoire qu’il restait à accomplir…

*** queue de morue ou queue de pie, mot créé le lendemain du 13 juillet 1789 par l’Académie Française. On ne manquera pas d’observer que les connaissances scientifiques, étho-écologiques et biologiques de ladite assemblée frisaient la confusion la plus extrême.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Certificat_d%27%C3%A9tudes_primaires

écrit le 25/01/2014, retrouvé au balcon du jour de Noël 2016